Le débat était animé par M. Alain BERGOUNIOUX, Inspecteur général de l'Education nationale , les intervenants furent M. Christophe CHARLE, professeur à l’université de Paris I Panthéon-Sorbonne, Mme. Christine LECUREUX, inspectrice pédagogique régionale de l'Académie d'Orléans-Tours, et enfin Mme Nadine VIVIER, professeure à l'université du Maine.
Monsieur BERGOUNIOUX fit une brève introduction du débat en expliquant tout d'abord que cette intervention fut proposée par l'inspection académique pour expliquer l'état des recherches en histoire sociale, la façon de s'en soucier et son historiographie.
Notre animateur expliqua que l'histoire sociale était en perpétuelle évolution Pour argumenter ses propos il raconta que dans les années 1970, lorsqu'il était étudiant, l'histoire sociale était quelque chose de somme toute assez "simple" pour reprendre ses dires. En effet à cette époque l'histoire sociale était dans l'horizon des thèses d'Ernest Labrousse, c'est-à-dire que l'histoire politique s’emboîtait dans l'histoire économique, et
idem pour l'histoire sociale. Tout tournait donc autour de cette fameuse histoire économique. C'était une histoire sociale très globale, il n'y avait que des collectifs, par exemple : les bourgeois, les ouvriers, les paysans. Or maintenant on ne considère plus le fait qu'il n'y ait que des collectifs. En effet, on ajoute souvent à un groupe social, et non plus une classe sociale, c'est la nuance qui est apportée dans l'histoire sociale d'aujourd'hui, un autre terme comme par exemple "les femmes durant la Révolution". Désormais on fragmente l'histoire sociale, elle n'est plus globale et les thèses marxistes de lutte des classes s'estompent de l'historiographie, cette lutte n'explique plus tout.
S'en suit la question centrale posée par ce débat : "Pourquoi l'histoire sociale est fragmentée ?"
Après une brève présentation des intervenants, M. BERGOUNIOUX termine son introduction en évoquant l'ouvrage
Douze leçons pour l'histoire d'Antoine PROST, en disant que l'histoire sociale n'a pas été remplacée et que c'est un manque qu'il faut combler.
Mme. Lécureux est la première à prendre la parole en expliquant qu'il y a actuellement des éléments absent concernant l'histoire sociale dans l'enseignement scolaire de l'histoire. Elle définit par la suite ce qu'est un groupe social de cette manière "un groupe humain qui nourrit une croyance d'origine dans un groupe spécifique". Et explique de manière plutôt brève cette définitions pourtant assez claire. En tant qu'inspectrice académique d'expérience, elle donne son avis sur la façon dont l'histoire sociale peut être enseignée dans les collèges et lycées. En effet elle appuie cela en soutenant que la longue durée peut modifier la perception des élèves comme des enseignants et des chercheurs et que c'est en cela que l'histoire sociale peut s'avérer complexe. Elle donne l'exemple d'un point du programme de 5e car lorsque l’expansion économique de l'occident est expliquée, on l'explique grâce au pouvoir économiques des villes et plus particulièrement de ses acteurs; banquiers et marchands, considérés comme bourgeois dans les anciens programmes qui classait les classes, vision donc marxiste. Désormais le terme de 'bourgeois" ne fait plus parti du programme ni des fiches que les rectorats envoient aux professeurs avec ce changement on passe d'une histoire de classe sociale à une histoire de groupe social. En effet, ces fiches proposent d'avantage aux enseignants de partir d'un récit. L'exemple donné pour étayer cela est celui du berruyer Jacques Coeur, ce personnage est souvent utilisé car il permet de faire comprendre le comportement d'un groupe social selon Mme Lécureux.
Par la suite elle évoque Michelet pour qui il y a un lien fort entre l'histoire politique et l'histoire sociale. Les historiens du XIXe siècle ont fait entrer l'histoire sociale dans l'Histoire, l'analyse est d'avantage dans la durée.
De plus dans les nouveaux programmes il y a d'avantage de place pour les acteurs ce qui semble difficile pour les professeur et donne sujet à polémique car les "romans-nations" ont donné le goûts des grands hommes comme Clovis, Charlemagne ou encore Napoléon Ier, mais ceci semblait masquer un manque de réflexion.
Il y a beaucoup d'études de groupes sociaux dans les programmes de collège et lycée, par exemple en 4e le Thème 1 propose une étude sur les ouvriers et les ouvrières à la belle époque ou un entrepreneur et son entreprise. Concernant le deuxième choix les professeurs peuvent évoquer Gustave Eiffel mais aussi Armand Moisant qui a contribué à la conception de nombreux monuments parisien.
En 1ere STMG, Sciences et Technologies du Management et de la Gestion, il y a une partie du programme consacrée à l'immigration, les questions sur les politiques en rapport avec ce sujet et les opinions des groupes sociaux.
Il y'a aussi maintenant d'avantage la question des femmes dans l'histoire avec Irène de Bilgem, grande figure féminine qui a prouvé que les femmes d'exception ont toujours existé, ou encore la question de la lutte du droite de vote. Lorsque l'histoire sociale se souciait d'avantage de la notion de "classes", la position des femmes était difficile à placer, alors que l'on peut plus facilement avec la notion de "groupe social".
Mme Lécureux clos la partie historique de son exposé en expliquant que l'introduction des acteurs permet d'introduire de la nuance.
En tant qu'inspectrice d'Académie elle termine son intervention en évoquant la matière sœur de l'histoire dans le secondaire : la géographie. En effet l'idée d'histoire sociale s'étend à la géographie, il y a aussi de nombreux acteurs.
Et enfin, pour conclure sa prise de parole, Mme Lécureux indique que pour elle l'histoire sociales et la géographie sociale sont éminemment politiques.
Vient ensuite le tour de Christophe CHARLES qui commence par remercier tout d'abord l'organisation de l'avoir convié, et l'inspection pour lui avoir proposé de participer à ce débat.
Il commence par dire qu'aujourd'hui, avec son expérience de professeur dans l'enseignement supérieur, les étudiants ont beaucoup de lacunes. Peut-être a-t-il dit ça pour lancer une pique au secondaire qui ne forme pas assez les élèves, ou alors peut-être est-ce une attaque envers les étudiants eux mêmes.
Il explique par la suite sa joie de participer à ce débat avec des enseignants du secondaire car pour lui il faut de la pédagogie dans le secondaire comme dans le supérieur. Il entre donc après cela dans le vif du sujet en posant deux questions qui seront son fil conducteur durant ses quinze minutes de parole. Il se pose tout d'abord la question de savoir pourquoi les historiens en sont venus à une "diffraction de l'histoire sociale", pour reprendre ses termes. Déjà dans sa voix et dans les termes employés on peut sentir qu'il n'aime pas tellement cette histoire sociale qui va plus en profondeur dans ses études. La deuxième question, est comme il le dit une "lueur d'espoir" car il se demande comment revenir à une histoire globale plus synthétique.
Il commence par citer Labrousse pour parler de la "macro-histoire", de sa vision globale des choses, mais réfute tout de suite cette thèse car les élèves de Labrousse ont démontré qu'elle ne marchait plus car il ne faut pas tout globaliser. Comme tout historien, il argumente ceci par un exemple et il prend celui de la Révolution française. En effet on a pu voir en s’intéressant de plus près aux régions qu'il y avait une France éclatée, que les sentiments n'étaient pas les mêmes en Bretagne et dans le Midi. A partir de cela, le "roman national" semble difficile à transmettre car on ne peut plus globaliser.
Ensuite son exposé se pose sur les historiens qui, au fil du temps, se sont intéressés à d'autres disciplines comme la sociologie et l'anthropologie. A partir de cela il y avait un questionnement plus riche mais qui imposait de restreindre le champ d'analyse et de s’intéresser au groupe social plus en profondeur, c'est un travail plus compliqué mais qui apporte des réponses plus satisfaisantes. Mais cependant comment reconstituer un schéma d'ensemble ? Y'a-t-il une dynamique collective ? Est-ce une nation éclatée avec la nationalité comme seul lien ? Et enfin, les héritages culturels sont-ils important ?
La question de l'
habitus dépasse le cadre de l'histoire sociale qui ne s'attache qu'aux groupes primaires.
L'expression du "printemps des peuple" est intéressante tout d'abord car c'est une expression de l'époque, il y'a des sources iconographiques montrant tous les peuples se battant pour la même chose, on pouvait voir à ce moment les prémices de l'Europe avec des nations ayant des idées communes.
On pourrait en faire une micro-histoire ou alors, comme monsieur Charle l'aimerait, une histoire plus large et plus nationale. Par rapport à cet évènement il y a eu un flot de littérature, on peut notamment citer Flaubert et son
Éducation sentimentale, avec cet œuvre Flaubert effectue en quelque sorte un travail d'historien puisqu'il n'a pas vécu le printemps des peuples, il a recueilli des témoignages vingt ans après.
Concernant les autres œuvres iconographiques on peut aussi voir une multiplication des caricatures grâce à la liberté d'expression. Il y a également l'
Atelier du peintre de Courbet qui était très engagé, voulait prendre parti, et a profité de cet élan de liberté. Il a eu l'idée de ce tableau pour résumer sa vie et sa vision de la société, on peut voir une analysé sociologique subjective révélatrice d'un moment historique.
L'histoire universelle, qui est sa conclusion, surmonte l'éparpillement et essaye de poser de nouvelles synthèses, selon lui, pour faire évoluer et transmettre son travail.
Vint ensuite le tour du dernier intervenant, Mme Nadine VIVIER qui, à l'instar de son prédécesseur, remercie l'inspection de l'avoir invitée.
Contrairement aux autres intervenants, Nadine VIVIER part d'un exemple précis, qui colle totalement au thème, celui des paysans. Elle évoque tout d'abord l'idéologie et l'historiographie marxiste qui stigmatisaient les populations paysannes en les qualifiant d'archaïques et d'illettrés. Par exemple, Max Weber a brossé le portrait d'un France rurale arriérée, vivant dans des huttes. Max Weber utilisait des sources sélectionnées, et avait des propose suggestifs. Au départ son œuvre était saluée par les historiens, puis au fil du temps les critiques ont pris le dessus.
On considérait donc les paysans comme une entité sans nuance.
Sa prise de parole s'articule autour de trois points.
Le tout premier est que le monde rural a une grande diversité, et cela est une idée plutôt neuve. Maintenant l'étude du monde rural s'approche par le capital, la dépendance, pour différencier les paysans. On peut aussi noter une diversité selon les régions, dans le Nord et en Ile de France on retrouve surtout de grands propriétaires terriens contrairement au Midi où il y a surtout de multiples petites propriétés.
La deuxième partie de son discours concerne l'expression de la "routine paysanne" dans laquelle il n'y avait que les biens communaux et les biens à usage collectif. Pour freiner l'exode rural que pouvait entrainer cette routine l’État tentait d'enrayer cela.
Il y avait aussi le cliché du paysans illettrés qui refusait l'instruction, tout ceci est faux car au XIXe siècle les paysans ont très vite compris qu'ils avaient besoin de l'instruction car le monde évoluait. Par rapport à cela il y avait deux écoles chez les industriels en recherche de main d’œuvre. Tout d'abord les libéraux, des notables bien souvent, qui poussaient les paysans à s'instruire, à se scolariser, pour avoir grâce à cela une main d’œuvre formée et plus productive. En parallèle il y avait les conservateurs qui voyaient en la scolarisation des campagnes un manque à gagner car les salaires seraient plus élevés et il y a le risque du départ vers la ville pour apprendre de nouvelles choses qu'on ne peut pas connaitre dans le monde rural.
Mais l'enseignement agricole n'a pas eu un franc succès car il n'était pas adapté, il avait pour dessein de former de bons valets de ferme, or il n'y avait quasiment pas besoin de ces personnes.
De plus on peut mettre en exergue les comices qui ont stimulé les cultivateurs et ont fait progresser les connaissances.
Le troisième et dernier point concerne la descente de la politique vers les masses.
Dans
La république au village, Maurice Agulhon montre que le modèle urbain des villes s'est substitué au collectivisme des campagnes, les élites urbaines faisaient évoluer les paysans, il y avait des interactions entre la ville et la campagne.
L'exemple du coup d’État de 1851 est donné. Des réactions réelles ont eu lieu vers les campagnes, pour se défendre les paysans disaient que les républicains des villes leurs avaient dit de faire cela. Les paysans ont raconté cela tout simplement pour rentrer chez eux. De plus les préfets ne se souciaient que très peu des groupuscules républicains en campagne.
Pour conclure son discours, Nadine Viver insiste sur le fait que nous avons beaucoup insisté sur la critique des sources dans les rapports de préfet. Aujourd'hui il y a un travail important sur la représentation de la paysannerie, c'est la relecture des archives qui apporte une nouvelle vision.
Maxime CHOISY